Né en 1903, Eric Blair, de son vrai nom, sait très tôt qu’il sera écrivain. Après une enfance triste et solitaire, il est envoyé dans un internat à la discipline de fer. Élève brillant, il est admis au prestigieux collège d’Eton (où il reçu l’enseignement d’Aldous Huxley, l’auteur du Meilleur des mondes), mais rêve d’Orient.
De Birmanie, où il a travaillé dans la police britannique de 1922 à 1927, il rapporte une moustache et la haine du colonialisme et des ravages de l’impérialisme. Conservateur mais anticonformiste, excentrique mais compatissant, il fréquente les bas-fonds de Londres et de Paris. Tour à tour vendeur de livres d’occasion, enseignant, auteur frustré, il livre le fruit de ses observations dans des reportages en immersion aux côtés des « gens ordinaires ».
Dans la dèche à Paris et à Londres (1933, parution en français chez Gallimard en 1935, sous le titre La Vache enragée, grâce à un coup de pouce de Malraux et agrémenté d’une préface de Panaït Istrati) lui permet d’explorer tous les trente-sixièmes dessous possibles et d’y poser cette interrogation empathique par excellence : « Commençons par cette question essentielle : pourquoi existe-t-il des vagabonds ? »
Chacune de ces expériences laborieuses viendra nourrir ses futurs livres. Le Quai de Wigan (1937) est une description des conditions de vie des mineurs anglais, à Hommage à la Catalogne (1938), témoigne de son engagement aux côtés des brigades internationales lors de la guerre civile en Espagne, comme l’avait fait Simone Weil.
De « 1984 » à « Mille neuf cent quatre-vingt-quatre », les choix d’une nouvelle traduction.
Traduire Orwell suppose de faire des choix difficiles, surtout face aux néologismes de ce roman sur le totalitarisme.
Les lecteurs francophones sont habitués depuis les années 1950 à « Big Brother », pour le nom du chef d'État. La première traductrice pour Gallimard, Amélie Audiberti, l’avait conservé en anglais en 1950. Josée Kamoun, en 2018, toujours pour la même maison d’édition, s’était alignée, car ce terme bien qu’anglais, peut être compris de tous.
En revanche, l’édition Pléiade coordonnée par l’universitaire Philippe Jaworski opte pour « le Grand Frère ». Lors d’un entretien avec l’AFP, il précise : « c’est très simple: je suis traducteur, donc je traduis. Je suis allé voir les autres langues, et aucune ne l’a gardé tel quel », « avec “Big Brother”, il y a une espèce de slogan qui empêche le rapprochement entre Grand Frère et la Fraternité, organisation clandestine dissidente. Il faut que ça s'imprime dans la conscience du lecteur », estime-t-il.
En ce qui concerne le « Newspeak », la langue imposée par le pouvoir, la question est plus délicate. La fameuse « novlangue » de la première traduction est un néologisme élégant qui a essaimé. Le choix de « néoparler » dans la deuxième traduction et celui de « néoparle » dans l’édition Pléiade, ne devraient peut-être pas connaître le même succès. Pourtant, Philippe Jaworski, qui a aussi traduit chez Gallimard des auteurs comme Melville, Fitzgerald, London et Hemingway, plaide pour ce choix radical : « “Newspeak”, c’est un monstre, où speak n’est ni verbe ni nom commun. Il n’y a pas de substantif dans le néoparle, c'est une langue absolument barbare. Alors on a envie de trouver les mots les plus repoussants, ceux qui font se dire au lecteur: c’est monstrueux ». Pour le coordinateur de la Pléiade, « ces termes sont barbares et en même temps, il est essentiel qu’ils intègrent le tissu verbal du français. Ce doivent être des barbarismes en français ».
Les pamphlets documentés de George Orwell, qu’ils prennent la forme de reportages ou d’un roman d’anticipation, témoignent tous d’un rude précepte : l’engagement civique ne se commande ni ne se commente, mais s’éprouve ; relié à nos émotions intimes et raisonnées, plutôt que pendu aux ordres dits supérieurs. À l’heure où les citations apocryphes et les réappropriations malhonnêtes de tous bords sont légions, il est urgent de le lire Orwell afin de résister au pire, toujours devant nous.
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