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Corps subtils. Carte blanche à Felipe Ribon.

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Du 05/08/2015 au 02/11/2015
Horaires d'ouverture : Non renseigné
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Du 5 août au 2 novembre 2015, le musée des Arts décoratifs et du Design de Bordeaux (MADD) donne carte blanche à Felipe Ribon pour investir les espaces de l’Hôtel Lalande. Le designer imagine un parcours immersif au coeur des collections, inspiré par l’histoire étonnante du lieu et de ceux qui l’ont habité depuis la fin du XVIIIe siècle.

Faisant suite aux expositions de Felipe Ribon à l’Institut Néerlandais et au musée Cognacq-Jay, cette nouvelle présentation rassemble ses différents projets et les inscrit dans la continuité d’une réflexion qui prendra un sens nouveau dans le dialogue avec les collections et l’architecture du musée des Arts décoratifs et du Design de Bordeaux. Les objets exposés, appartenant aux collections Mind the Gap et ae - objets médium, sont conçus dans la même volonté de stimuler notre perception extra-sensorielle. Ils sont issus d’une réflexion qui se nourrit dans les marges de la pensée occidentale cartésienne, une pensée qui s’aventure sur les terrains incertains de l’inconscient et de l’impalpable. Les objets conçus par Felipe Ribon sont des outils mis à la disposition de l’esprit. Leur rôle est d’éveiller notre capacité à ressentir et percevoir autrement. A leur côté, on s’enhardit à réinterroger le lien paradoxal entretenu avec notre esprit.

Mind the Gap - développé et produit en 2012 avec le soutien des Audi Talents Awards - a pour ambition de mettre l’hypnose à la portée de tous. Cette pratique utilisée à la fin du XIXe siècle avait perdu de son aura durant le XXe siècle. Elle renaît discrètement depuis une trentaine d’années, favorisée par l’imagerie cérébrale qui permet aujourd’hui de visualiser ce qui se passe dans un cerveau sous hypnose. Très récemment, le 3 juillet 2015, France Culture lui consacrait un temps fort : « Pour cette dernière émission de Science publique de la saison, nous avons voulu revenir sur l’un des sujets les plus fascinants que nous ayons abordé. Il s’agit de l’hypnose, une pratique aussi banale que mystérieuse, aussi puissante que méconnue. (…) En France, c’est Jean-Martin Charcot qui développe l’hypnose à l’école de la Salpêtrière où l’un de ses élèves n’est autre que Sigmund Freud. Le principal paradoxe de l’hypnose est sans doute d’être à l’origine de la psychanalyse et d’en être également la victime ». Utilisée dans le cadre thérapeutique, et de plus en plus pratiquée à l’hôpital, l’hypnose est également garante de bien-être. Il s’agit d’un processus nécessaire et naturel que nous avons pourtant appris à fuir, au profit de la productivité mais aux dépens de notre propre équilibre. Le designer Felipe Ribon conçoit bols, tapis, tables ou autres pièces de mobilier comme autant d’objets medium, dans l’objectif de favoriser cet accès à l’hypnose. Imaginant de nouveaux territoires pour le design, Felipe Ribon contourne les frontières posées par le rationalisme cartésien, en restant cependant fidèle aux exigences de sa discipline.

ae - objets médium, la deuxième série d’objets, a ainsi pour fonction principale de faciliter la prise de contact avec l’au-delà. Avec des tables tournantes, des tablettes d’écriture automatique, et des talking boards, Felipe Ribon enrichit un vocabulaire d’objets resté inchangé depuis le XIXe siècle, moment d’apogée du spiritisme. On connaît, en effet, les cahiers de Victor Hugo compilés dans le Livre des Tables, rendant compte de ses séances de spiritisme organisées à Jersey, tout comme les Mémoires de Thomas Edison dans lesquels il écrit qu’il rêve de « fournir aux chercheurs spirites un appareil qui leur permettrait de travailler d’une manière strictement scientifique. (…) Il m’a toujours paru particulièrement absurde d’espérer que les « esprits» veuillent bien perdre leur temps à faire joujou avec des objets aussi grossiers, aussi peu scientifiques que des tables, des chaises ou un jeu de lettres. (…) Pour ma part, j’espère que la personnalité survit à la mort. Et si, réellement, nous continuons à exister au-delà de la tombe, alors mon appareil, avec sa sensibilité extraordinaire, nous fournira peut-être un jour la preuve de cette existence permanente et, par conséquent, de notre vie éternelle.» (Thomas A. Edison, Mémoires et observations, Paris, Flammarion, 1949. 1e éd. : New York, 1948). Le refus de contraintes conceptuelles, la remise en question des idées préconçues et sa méfiance vis-à-vis de tout ce qui semble évident, sont des éléments clés dans la démarche du jeune artiste franco-colombien nourri d’un multiculturalisme qui le porte à adopter avec aisance des points de vue surprenants et inhabituels. Il interroge la possibilité d’investir de nouveaux champs et de s’affranchir de la règle.

Constance Rubini, directrice du musée des Arts décoratifs et du Design, rencontre Felipe Ribon en 2009 à la Villa Noailles. Elle lui exprime immédiatement son enthousiasme pour le projet novateur de salle de bain en tissus techniques (Another bathroom) et, depuis, suit son travail. En 2010, alors commissaire générale de la biennale de Saint-Etienne, elle l’invite à concevoir une exposition qui ouvre sur une approche intuitive et expérimentale de la lumière contemporaine. Un sujet qui fait écho à son travail de photographe et au rôle primordial qu’il accorde à la matière lumineuse dans la révélation de l’existant. En 2012, Constance Rubini fait partie du jury qui lui décerne le Audi Talents Awards dans la section Design.

L’invitation, aujourd’hui, à exposer au MADD est ainsi la suite logique de l’intérêt que Constance Rubini manifeste à propos du travail de Felipe Ribon depuis six ans. Plutôt que de mettre en scène le regard qu’elle porte sur ce travail, elle préfère, cette fois-ci, l’inviter à mettre en relation ses créations avec les objets du musée qui, pour certains, témoignent du passé et de l’histoire, réelle ou fantasmée, de personnages illustres. Une façon de nous relier à eux et de prolonger ainsi le projet du designer qui interroge le rapport que nous entretenons avec les morts. L’hôtel particulier qui abrite aujourd’hui le musée porte, en effet, des traces de vies et d’aventures passées. Des ossements dans un coffret précieux, reliques du corps de Louis XVI (1793), des bas ayant appartenu à la duchesse de Berry, pliés dans un écrin et révélant l’intimité du tissu au contact de la peau, ne constituent-ils qu’un souvenir ?

Un parcours d’exposition à découvrir

« Quels rapports pouvons-nous entretenir avec les morts ? Que l’on partage ou pas ce questionnement, nous sommes tous les héritiers d’un grand nombre d’expériences visant la prise de contact avec des mondes mystiques. Historiquement, l’objet a occupé une place prépondérante dans la communication extra-sensorielle, étant à la fois le canal et le modérateur des échanges, il devient révélateur d’autres réalités. Design et occultisme ou l’objet comme médium, cette hypothèse spéculative constitue la porte d’entrée vers un nouveau champ d’implication pour le design. » Felipe Ribon

Dans son rapport fondamental à l’espace domestique, le jeune designer a considéré l’hôtel de Lalande comme un hôtel particulier plutôt que comme un musée. Ce lieu a, en effet, la particularité d’inviter le visiteur à pénétrer dans l’intimité de ses espaces. Peu de signes muséographiques viennent interférer dans la visite. Seul un chardon, posé sur les sièges, signifie au visiteur qu’il n’est cependant pas convié à s’assoir librement. Felipe Ribon a donc appréhendé ce lieu comme une maison, avec des typologies de salles marquées, avec ses parquets et son mobilier d’origine inchangés, comme si les habitants venaient juste de quitter les lieux.

Le designer a disséminé une centaine d’objets dans les pièces les plus caractéristiques, comme le salon de compagnie, le salon bordelais ou, de plus petite dimension, le cabinet des faïences fines. Ce parcours immersif confronte histoire et pratiques contemporaines. Ses objets, induisant un processus hypnotique ou favorisant le contact avec l’au-delà, dialoguent avec les lieux. Riches d’une charge émotionnelle et historique, les objets que Felipe Ribon a choisi de sortir des réserves sont autant d’intercesseurs pour rentrer en communication avec ses propres objets. Le peigne en écaille et les pantoufles en satin de la duchesse de Berry, un morceau de papier tâché du sang de Louis XVI conservé dans un médaillon, les nombreuses images séditieuses, ou encore certaines typologies singulières comme celle de la commode tombeau bordelaise ont particulièrement attiré son attention.

Felipe Ribon a investi le salon de compagnie comme le coeur de ce parcours. Il y présente son ensemble Mensa, tables aux allures de piédestal monolithique, et Caelum, urne sculpturale dans ses cinq versions. Celles-ci reposeront sur les trois consoles et la cheminée, vestiges de la commande originale passée par la famille de Lalande pour l’hôtel particulier. Les portraits au pastel de Jean-Baptiste Perronneau (1715-1783) du chevalier de Camiran, de Marthe Corregeolles et de Madame de Parouty animeront de leur présence la nouvelle scénographie de ce salon.

Visite commentée : tous les samedis et dimanches à 15h.

Photo : Eye, 2015, faïence émaillée, verre optique dichroïde Essilor® © Ribon



Bibliographie